Que peut apprendre le secteur de l’eau rurale de l’expérience de l’Afrique de l’Ouest francophone ?

De nombreux pays cherchent à développer les services d’eau en milieu rural et à améliorer les niveaux de service pour les habitants des petites villes et des zones rurales en investissant dans des réseaux d’eau décentralisés et de petite taille. L’Afrique de l’Ouest francophone a une longue histoire de délégation des services d’eau potable (généralement des petits réseaux) dans les petites villes et les zones rurales à des opérateurs professionnels, qui peuvent être des associations publiques ou des opérateurs privés.

Le Secrétariat du RWSN, en partenariat avec le programme REACH, a passé l’année passée à enquêter sur l’expérience de la délégation des services d’eau et les moteurs des récentes réformes de la politique de l’eau potable en milieu rural dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest francophone. Nous avons réalisé une étude documentaire détaillée et parlé à 25 experts du secteur de l’eau en milieu rural dans la région pour comprendre pourquoi et comment les réformes des politiques d’eau potable en milieu rural se sont produites, et quelles leçons peuvent être tirées des diverses expériences de délégation des services d’eau potables en milieu rural à des opérateurs professionnels.

Un mot d’avertissement – il est extrêmement difficile d’essayer de synthétiser les expériences de six pays (Bénin, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal) dans un rapport, et d’autant plus dans un blog, sans simplifier les nombreuses complexités de chaque cas. Dans ce blog, je partagerai les enseignements que j’ai tirés de la recherche, et je vous encourage à lire le rapport complet (disponible ici en anglais et en français) pour avoir une vue d’ensemble.

Si l’on examine les politiques de l’eau en milieu rural au cours des 30 à 40 dernières années, on constate plusieurs vagues de réformes dans ces pays, avec un effet de “va et vient” entre les acteurs centraux et locaux pour avoir le mandat des services d’eau potable en milieu rural . Plus récemment, plusieurs pays ont lancé des réformes de l’eau potable en milieu rurale dans lesquelles l’État central a “repris le contrôle” des autorités locales ou des organisations communautaires pour établir une autorité centrale de l’eau rurale et déléguer les services d’eau rurale à un niveau régional plus large. D’autres pays de la région et au-delà observent et réfléchissent pour savoir s’il s’agit d’une bonne idée à imiter.

Autorités ayant le mandat des services d’eau potable en milieu rural dans les pays étudiés. Source/ REACH/ RWSN (2023)

Il n’est pas surprenant que la délégation des services d’eau ruraux à un opérateur ne soit pas une alternative universelle à la gestion communautaire. Dans de nombreux pays, il existe un fossé entre la théorie et la pratique, avec des modèles alternatifs de fourniture de services d’eau ruraux coexistant avec des accords informels, où les services auraient dû être délégués.

Comment et pourquoi ces réformes de l’approvisionnement en eau potable en milieu rural ont-elles lieu ? La figure ci-dessous donne un aperçu des moteurs de la réforme de l’eau en milieu rural dans les pays étudiés. Parmi ceux-ci, les donateurs et les organisations internationales ont été identifiés comme des catalyseurs de la promotion et de la reproduction de la délégation des services d’eau en milieu rural dans la sous-région, mais pas toujours pour les raisons que l’on pourrait croire.

Vue d’ensemble des moteurs de la réforme des services d’eau en milieu rural dans les pays étudiés. Source: REACH/ RWSN (2023)

L’augmentation de l’efficacité et l’amélioration de la performance de la fourniture de services sont également des facteurs clés qui motivent ces réformes. Les pays d’Afrique de l’Ouest ont expérimenté le regroupement des infrastructures d’eau rurale afin de déléguer les services d’eau rurale à l’échelle de plusieurs municipalités, d’un district ou d’une région. Lorsque le mandat pour les services d’eau ruraux se situe au niveau local, cela peut se faire en regroupant plusieurs autorités locales, par le biais de contrats de conception, de construction et d’exploitation (DBO) et d’arrangements intercommunaux. Dans la pratique, les intercommunalités restent l’exception dans la sous-région et sont souvent victimes de luttes politiques intestines ou de désaccords contractuels.

Lorsque le mandat pour les services d’eau en milieu rural se situe au niveau national, les services peuvent être délégués à une échelle régionale beaucoup plus large, comme c’est le cas au Sénégal, au Bénin et en Mauritanie. Bien que ces réformes soient encore en cours, certains enseignements peuvent être tirés, notamment en ce qui concerne la nécessité de reconnaître la tension entre les processus de décentralisation politique et une recentralisation partielle ou complète des mandats des services d’eau ruraux, et de reconnaître les avantages et les risques inhérents au regroupement des services d’eau ruraux, qui peuvent avoir été sous-estimés dans certains cas (voir le graphique ci-dessous).

Avantages et risques liés au regroupement des services ruraux de l’eau (RWS). Source : REACH/ RWSN (2023)

Les expériences de recentralisation/décentralisation des autorités chargées des services et de délégation des services d’eau ruraux au niveau local ou régional doivent être analysées avec soin afin de comprendre leur impact sur la qualité des services et la couverture de la population. Un cadre institutionnel qui surveille des objectifs clairs et promeut un cadre transparent pour la responsabilité et le dialogue sur les performances permettra de corriger les trajectoires si nécessaire.

Bien qu’aucune solution unique ne semble plausible ou pragmatique pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest, des preuves plus claires de ce qui fonctionne et pourquoi sont essentielles pour déterminer les politiques et les investissements futurs. Cette étude identifie certaines des questions clés de ce débat en cours, qui nécessitent une réflexion plus approfondie :

  • La recentralisation des autorités chargées des services d’eau en milieu rural améliorera-t-elle le financement, le suivi des performances et la gestion des infrastructures?
  • Dans les pays où la décentralisation est en cours, quel est le rôle des acteurs locaux (y compris des autorités locales) dans les pays qui ont récemment recentralisé le secteur de l’eau en milieu rural ? Sont-ils en mesure de demander des comptes aux autorités délégantes et aux opérateurs ?
  • Dans les contextes où il a été décidé de ne pas subventionner les tarifs de l’eau en milieu rural, comment financer durablement la prestation des services d’eau tout en garantissant l’équité entre les résidents ruraux et urbains ?
  • La régulation évoluera-t-elle pour garantir la viabilité des services d’eau ruraux en cas de délégation ?
  • Dans les contextes où l’expertise internationale est nécessaire pour fournir des services d’eau universels à court terme, comment les capacités locales seront-elles développées pour assurer la durabilité des services d’eau en milieu rural à long terme ?

Principales conclusions de l’étude

  • Les opérateurs de l’AEP en milieu rural seront capables et désireux de fournir des services d’eau si la viabilité financière des services délégués est assurée et si les risques sont convenablement partagés entre l’opérateur et l’autorité délégante. Pour ce faire, il convient d’optimiser le type, la taille et l’étendue des services d’eau ruraux à déléguer, le type et la durée du contrat de délégation, ainsi que les modalités contractuelles.
  • Un cadre politique, institutionnel, réglementaire et juridique clair, qui permet des contrats à long terme et donne aux opérateurs une certaine visibilité et des conditions contractuelles claires, est essentiel pour la délégation des services d’AEP ruraux dans le cadre de mandats centralisés et décentralisés.
  • Un financement et des subventions transparents, y compris pour les frais de fonctionnement et d’entretien lorsque les tarifs sont inférieurs au niveau de recouvrement des coûts opérationnels, peuvent être nécessaires pour garantir l’acceptabilité des services par les populations rurales.
  • Les mécanismes de délégation de services publics qui fonctionnent le mieux sont ceux qui sont soumis à un cadre de dialogue régulier. La régulation, les données et le suivi doivent encore être améliorés pour éclairer la prise de décision concernant les services d’eau en milieu rural. Qu’elle soit ancrée au niveau national ou local, la régulation doit reposer sur des principes d’efficience, de transparence et de responsabilité, et répondre aux préoccupations des usagers de l’eau locaux.
  • La professionnalisation des services d’eau en milieu rural dépend de l’existence d’opérateurs qualifiés désireux de travailler dans les zones rurales (publics ou privés, locaux ou internationaux). Les efforts de réforme doivent tenir compte de l’expérience des opérateurs locaux afin d’éviter l’impression de “déposséder le pays des capacités locales”, ce qui a également un impact sur l’acceptabilité sociale et la durabilité des services d’eau.

Êtes-vous d’accord ? Quelles ont été vos expériences ? Faites-nous part de vos réflexions dans les commentaires ci-dessous.

A propos de l’auteur : Meleesa Naughton est la directrice adjointe du Secrétariat du RWSN et l’auteur principal de la publication de REACH/RWSN sur la performance et les perspectives des services d’eau potable en milieu rural en Afrique de l’Ouest francophone.

Crédit photo : Johannes Wagner – un kiosque à eau solaire à Moribala

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Author: RWSN Secretariat

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